Page:Mirbeau - Théâtre II.djvu/114

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Jean

Mais si, c’est juste… Puisque tu le veux… puisque tu t’obstines à le vouloir…

Louis Thieux

Non… non… tais-toi… ne parle pas de ça, en ce moment… Je suis trop malheureux…

Jean

Alors… j’attendrai… J’attendrai que tu sois heureux… j’attendrai que tu sois mort… que Madeleine soit morte… que tous ici soient morts… Ça ne sera pas long… (Un silence.) Mais, tu ne vois donc rien autour de toi ?… Tu n’as donc jamais regardé le teint flétri de ta fille, et sa démarche de vieille femme fatiguée, à dix-huit ans ?… et les joues creuses… et les bouches pâles… et les pauvres petites mains maigres de ceux-là ?…

Louis Thieux

Ne parle pas de ça… (Il tire du buffet un morceau de pain qu’il essaie de manger.) Je n’ai pas faim… je n’ai pourtant rien mangé depuis hier… je n’ai pas eu le temps… Et ce soir, ça ne passe pas… ça reste là… (Il remet le pain dans le buffet, avale une gorgée d’eau et s’assied aussi, dans un coin… Long silence.) Et toi, tu ne vas pas à l’usine, ce soir ?

Jean

Ma foi non… Ah ! ma foi non… (Il vient près de Louis Thieux et lui frappe sur l’épaule.) Tu vas avoir un surcroît de dépenses… et il ne doit plus te rester d’argent ?… Prends ceci…

Il lui remet quelques pièces d’argent.