Page:Mirbeau - Théâtre II.djvu/131

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Madeleine

Je ne sais rien… puisque vous ne m’avez rien confié… mais, depuis longtemps, j’ai vu dans vos yeux ce qu’il y a dans votre âme… Et puis, vous avez dit, tout à l’heure : « Il peut arriver aussi que tout le monde soit obligé de partir d’ici… »

Un silence.
Jean, rêveur.

Je n’ai rien décidé, Madeleine… J’ai rêvé… oui, j’ai rêvé… à des choses, peut-être… à de grandes choses, peut-être… Mais si la fièvre de l’action, le désir de la lutte me reprennent… c’est pour vous… par vous… avec vous…

Madeleine

Pour moi ?… avec moi ?… Je ne suis qu’une pauvre fille, triste et malade… je ne suis pas belle…

Jean

Pas belle !… Oh ! Madeleine… vous n’avez pas la beauté insolente des riches, faite de nos dépouilles et de notre faim… vous avez la beauté que j’aime… la beauté saine de la souffrance… et je m’agenouille devant vous… (Il s’agenouille devant Madeleine et lui prend les mains.) Votre pauvre visage déjà flétri… vos épaules déjà courbées… vos mains, vos petites mains pâles… dont les doigts sont usés de travail… et vos yeux… Ah ! vos yeux… déjà rougis à tant de tristesses et à tant de larmes… vous ne savez pas de quel amour puissant et sacré ils m’ont gonflé le cœur… Et comme ils ont aussi ranimé ma haine… Pas belle !… Parce que vous n’avez pas eu de jeunesse encore… parce que vous avez eu