Page:Mirbeau - Théâtre II.djvu/46

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L’Interviewer

Blonde ?… (Silence.) Brune alors ?… (Silence. Chapuzot est totalement abruti.) Grande ?… bien faite ?… (Silence. D’un air dégagé.) A-t-elle des passions… inavouables ?… (Silence.) Est-ce vous qui l’avez dépravée ?… (Silence.) Combien de fois s’est-elle fait avorter ?… (Silence.) Oui… Une fois… deux fois… vous refusez de répondre ?… de m’aider dans mon enquête ? Naturellement ! Mutisme… et séquestration, sans doute ?… Eh bien ! nous allons rire… J’aime mieux ça… (Il marche, se frottant les mains.) Encore quelques mots pour en terminer. (Il s’avance vers Chapuzot qui recule d’un pas, à chaque question.)… Que pensez-vous de la télépathie sans fils ? (Silence.) Quelles sont, suivant vous, les causes des phénomènes hypnotiques ? (Silence.) À quoi attribuez-vous la marche progressive de la dépopulation ? (Silence.) Avez-vous une opinion nette sur le socialisme d’État… les grands trusts américains… le malthusianisme au théâtre… et le désarmement universel ?… (Silence. Chapuzot est acculé au mur. L’Interviewer l’empoigne, le secoue, puis le couche violemment sur la table. D’une voix tonnante.) Dans quelle direction pensez-vous que doit s’orienter la littérature ?… (De ses deux mains sur la poitrine, il le maintient renversé.) Optimiste ?… Pessimiste ?… Humaniste ?… Symboliste ?… Naturiste ?… (Silence. Le lâchant.) Très bien… C’est un parti pris de silence… une offense voulue envers la Presse ? Il vous en cuira, Monsieur Chapuzot… (Il traverse la scène, va reprendre son chapeau et son appareil.) Il vous en cuira… c’est moi qui vous le dis… (Avec menace.) Un dernier bock je vous prie !…

Chapuzot, revenu à lui subitement.

Voilà… voilà…

(Il sert le bock.)