Page:Mireille Havet Carnaval 1922.djvu/10

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qu’elles ne l’ont été depuis longtemps. C’est à vous que je le dois, mon petit Daniel. Aussi, je suis très lasse depuis et les fards n’arrangent rien, vous le voyez. D’Annunzio m’appelait la plus folle des bacchantes, cela vous plaît-il ? Dieu, que je suis lasse. Donnez-moi une cigarette, allumez-la, s’il vous plaît, et sonnez donc pour le thé ; l’amour ne m’a jamais nourrie, mais dépêchez-vous, Daniel, je vous parle, on dirait que vous n’êtes pas là. Il faut que je fasse tout moi-même, sera-ce ainsi plus tard ? »

Son sourire ambigu accuse le sens de la promesse. Mais Daniel est de mauvaise humeur ; brusquement, comme si on l’avait brûlé au visage, il se retourne.

— « Vraiment, Germaine, on dirait que je ne suis là que pour faire vos commissions. Je suis l’agent de liaison entre vous et les domestiques, vous abusez, chère amie. »

— « Si j’abuse, allez-vous-en ! D’autres trouveront que je n’abuse pas. Vous êtes stupide avec vos colères. Si vous ne voulez pas goûter avec moi, votre pardessus est dans l’antichambre. Je l’ai fait porter là, car j’en ai assez de vous le voir reprendre toutes les cinq minutes sous prétexte que je froisse votre dignité. Si vous avez tant de dignité, mon petit ami, vous y manquez grandement en venant me voir chaque jour, en vous imposant à Jérôme comme vous le faites. »

Daniel est hors de lui. Il sent en marchant à travers la pièce du vent autour de sa tête, comme lorsqu’on fait tourner un bâton pour tuer quelqu’un. Évidemment, il va tuer quelqu’un, il va tuer Germaine puisque Jérôme n’est pas là. Alors, il s’enfuira au bord de la Seine, le long des berges sinistres, il se jettera dans l’eau noire, il en aura plein la bouche, il mourra. Germaine aura des remords toute sa vie.

— « Hé bien, dit-elle, vous ne dites plus rien. »