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toilettes claires, ses tennis, ses voitures à ânes. Il ne songe pas qu’il passe peut-être chaque jour, auprès d’amants qui ont le cœur déchiré, comme lui-même.

Le soir, la troupe d’opérette chante Boccace ou bien la Fille de Madame Angot, avec des voix de tête qui le font tout de même rire. Naturellement, il n’écrit plus à Germaine, ses notes lui tiennent lieu des lettres défendues. Il s’y confine, prisonnier volontaire, et s’y distrait dans la minutieuse description de son chagrin. Car, bien qu’il soit, à force de veilles, de mutisme et d’exaltation intérieure, dans l’état même de la poésie, il ne peut encore entreprendre aucun travail.

Quelques poèmes se forment au hasard des lettres, mais ils sont toujours faits d’amour, on dirait qu’il est aveugle et sourd aux autres formes du monde.

Comme d’autres « en religion », il se couche, se lève, mange et s’habille dans sa douleur.

Le mois de juillet est entièrement passé. Daniel fixe son départ ; à quoi bon rester encore, ce pays lui rappelle trop sa déception.


C’est par un crépuscule d’or, plein d’oiseaux et déjà de quelques feuilles d’automne, qu’il revoit Paris. On vend des roses à la gare et les jets d’arrosage font la roue. Tristesse des retours. On devient si vite étranger à tout. Daniel, à côté de sa petite malle, où gisent bien au fond, il le sait, ses papiers tristes et la lettre, refait connaissance et pèlerinage de sa ville ; le mauvais taxi les secoue ensemble, ses souvenirs et lui.

Près des Champs-Élysées, il détourne la tête.

« Pas encore ».

Sincèrement, il croit qu’il ne reverra jamais son amie.