Page:Mireille Havet Carnaval 1922.djvu/87

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noyez-vous, pendez-vous à mes arbres verts, mourez d’amour ou de remords dans mes bois profonds mouvants comme la mer, courez à votre perte ou a votre sauvetage, sur mes routes qui ramènent toujours les hommes aux mêmes villes et à l’amour, je n’en fleuris pas moins chaque printemps fidèle. Ma solitude est si profonde, mes arbres si aveugles en leur vigilance, que je suis un abîme pour le cœur en peine.

Ses plaisirs :

C’est aux restaurants, aux lampes des soirs fêtés dans les jardins près des tables blanches, dans leur verdure sombre comme la jungle et où glissent les insectes du crépuscule, aux orchestres en veste rouge, que l’on voit à travers les feuillages, et dont les archets réveillent en nous de vieilles meurtrissures, un mauvais goût humiliant d’intrigues et de carnaval ; aux femmes fardées, sous les chapeaux du soir qui font portraits anglais, velours et guipure que je dois mes plus violentes tristesses et ce goût de l’imaginaire désespoir, qui nous transforme vite en perpétuels orphelins de nos amours.

Ses voyages…

Mais arriverons-nous jamais ; et ceux-là qui se disent adieu se reverront-ils. Ah ! ces bateaux, dans le soir, le phare du port que l’on quitte, le cœur battant, plus étranglé d’angoisse qu’un oiseau que l’on tiendrait dans sa main, les dernières lampes des maison sur la côte, nos livres abandonnés, nos peurs, nos jardins, nos mémoires, le lit défait et son matelas nu qui crie déjà, une absence semblable à la mort, nos sommeils d’autrefois dans la chambre immobile, où l’on ignore le vent. Plus rien, que ce bateau docile à la vague et mouvant comme elle, ce bateau, cette cabine, le hublot, œil des profondeurs ; un jour nouveau va paraître face aux îles inconnues.

Ah ! voyageur perdu, il est trop tard, pour re-