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LE GUEUX DE MER

gnaient les Espagnols ; mais celui qu’elle voyait devant elle la regardait avec tant de douceur, son sourire exprimait si bien la bonté, qu’elle ne pouvait le prendre pour un traître, pour un ennemi de l’État, flétri par les lois, rejeté par les hommes et réprouvé de Dieu[1].

Guillaume, s’empressant de relever la douairière, lui promit la protection que réclamaient son sexe et son isolement.

— Nous sommes catholiques et royalistes, reprit la vieille dame en lui tendant ses mains suppliantes ; mais si vous nous faites reconduire à terre, nous prierons Dieu tous les jours pour obtenir votre grâce et votre conservation.

  1. Le surnom de taciturne a porté malheur à Guillaume de Nassau. Les historiens se le sont représenté comme un homme sombre et sévère, quoiqu’au jugement de tous les contemporains ce fût un joyeux convive et un bon compagnon. S’il paraissait taciturne au conseil d’État, quand on le comparait au comte d’Egmont et à plusieurs autres dont les discours étaient presque toujours imprudents, exagérés, pleins de déclamation, il se montrait extrêmement aimable dans les relations privées. Voici ce qu’en dit Brantôme, catholique et grand partisan de Philippe II : « je le trouvai un fort grand personnage à mon gré, et qui discourait bien de toutes choses… Il avait une fort belle façon, et était d’une belle taille… Ce prince avait une âme de Dieu et une singulière générosité. » Brantôme, Vie des hommes illustres, vie du prince d’Orange. — Un autre, Français, Louis Aubery, seigneur de Mauryer, le peint ainsi dans ses mémoires pour servir à l’histoire de Hollande (pp. 13 et 14) : « Le prince d’Orange, Guillaume, était de belle taille, avait le teint brun, le poil châtain ; il parlait peu et pensait beaucoup, mais tout ce qu’il disait était essentiel et passait pour oracle. Il n’y avait point de maison de particulier où l’on vécût avec tant d’éclat, même du temps de Charles-Quint, que chez ce prince, où les ambassadeurs et les princes étrangers étaient régalés. Enfin c’était l’honneur de la cour. Cette splendeur, jointe à une manière toute particulière de s’insinuer dans les cœurs, lui avait acquis l’estime et l’amitié de tout le monde. » En voilà bien assez pour montrer combien Guillaume ressemblait peu à ce sombre conspirateur, à la mine triste et renfrognée, que quelques écrivains ont voulu faire de lui.