Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/117

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SBRIGANI.

Je suis confus des louanges dont vous m’honorez, et je pourrois vous en donner avec plus de justice sur les merveilles de votre vie, et principalement sur la gloire que vous acquîtes, lorsque avec tant d’honnêteté vous pipâtes au jeu, pour douze mille écus, ce jeune seigneur étranger que l’on mena chez vous ; lorsque vous fîtes galamment ce faux contrat qui ruina toute une famille ; lorsque avec tant de grandeur d’âme vous sûtes nier le dépôt qu’on vous avoit confié ; et que si généreusement on vous vit prêter votre témoignage à faire pendre ces deux personnes qui ne l’avoient pas mérité.

NÉRINE.

Ce sont petites bagatelles qui ne valent pas qu’on en parle ; et vos éloges me font rougir[1].

SBRIGANI.

Je veux bien épargner votre modestie ; laissons cela : et, pour commencer notre affaire, allons vite joindre notre provincial, tandis que de votre côté vous nous tiendrez prêts au besoin les autres acteurs de la comédie.

ÉRASTE.

Au moins, madame, souvenez-vous de votre rôle, et, pour mieux couvrir notre jeu, feignez, comme on vous a dit, d’être la plus contente du monde des résolutions de votre père.

JULIE.

S’il ne tient qu’à cela, les choses iront à merveille.

ÉRASTE.

Mais, belle Julie, si toutes nos machines venoient à ne pas réussir ?

JULIE.

Je déclarerai à mon père mes véritables sentiments.

ÉRASTE.

Et si, contre vos sentiments, il s’obstinoit à son dessein ?

JULIE.

Je le menacerai de me jeter dans un couvent.

  1. Sous la casaque de Sbrigani, Molière a caché un de ces Sosies, de ces Daves de la comédie antique qu’il nous avait déjà fait voir sous le manteau de Mascarille, et qu’un dernier caprice de son génie doit nous montrer encore sous celui de Scapin. (Voir l’Asinaire de Plaute, acte III, scène ii.)
    (Auger.)