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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/23

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DU THÉÂTRE EN FRANCE

Tous les personnages de la mythologie, les diables et les anges, les philosophes de l’antiquité, les empereurs romains, les rois d’Égypte, les grands hommes du paganisme et de l’histoire chrétienne figuraient pêle-mêle, sous les noms les plus étranges, dans les costumes les plus bizarres et quelquefois aussi les plus brillants. Les païens avaient des habits de fantaisie ; les chrétiens, des habits uniformes et pour ainsi dire officiels : les diables étaient noirs, les anges blancs ou rouges ; les morts étaient habillés en guise de ames, c’est-à-dire couverts d’un voile blanc pour les élus, rouge ou noir pour les réprouvés. Dans le mystère de Caïn, l’acteur chargé du rôle du sang d’Abel se roulait par terre dans un drap rouge en criant : Vengeance ! Dieu paraissait toujours avec une chape, parce que le costume ecclésiastique était regardé comme le plus respectable, et, par une bizarrerie singulière, ce Dieu tout-puissant ne jouait dans la plupart des pièces qu’un rôle insignifiant et quelquefois même ridicule.

Soit qu’ils fussent écrits en latin, en langue farcie ou en français, les mystères étaient toujours rhythmiques. Le latin est rimé tant bien que mal, et les rimes sont notées en plain-chant comme les anciennes proses. Les mystères français sont ordinairement en vers de huit syllabes, et quelques-uns n’ont pas moins de soixante-dix à quatre-vingt mille vers. Millin et Monteil ont dit que ces poëmes dramatiques étaient chantés, du moins dans certaines circonstances.

Les jugements les plus divers ont été portés sur la valeur esthétique des mystères. Des éditeurs, enthousiastes d’une littérature qui fournit de nombreux sujets de publications, ont vanté les drames sacrés du moyen âge à l’égal des chefs-d’œuvre de la scène française. D’un autre côté, des critiques éminents n’ont vu dans ces drames que des essais informes, intéressant seulement l’histoire de la langue et des mœurs. « Étranger à toute idée de plan et de composition, l’auteur, quel qu’il soit, dit M. Sainte-Beuve, suit d’ordinaire son texte, histoire ou légende, livre par livre, chapitre par chapitre, amplifiant outre mesure les plus minces détails et s’abandonnant, chemin faisant, aux distractions les plus puériles… Ce qui caractérise essen-