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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/337

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NOTICE.

compagnie, où l’on s’entretenoit et de votre esprit, et du génie particulier que vous avez pour les pièces de théâtre, je coulai mon sentiment parmi celui des autres ; et, pour enrichir par-dessus ce qu’on disoit à votre avantage, je voulus faire le récit de votre Cocu imaginaire : mais je fus bien surpris quand je vis qu’à cent vers près je savois la pièce par cœur, et qu’au lieu du sujet je les avais tous récités : cela m’y fît retourner encore une fois, pour achever de retenir ce que je n’en savois pas. Aussitôt un gentilhomme de la campagne, de mes amis, extraordinairement curieux de ces sortes d’ouvrages, m’écrivit, et me pria de lui mander ce que c’étoit que le Cocu imaginaire ; parce que, disoit-il, il n'avoit point vu de pièce dont le titre promit rien de si spirituel, si elle étoit traitée par un habile homme. Je lui envoyai aussitôt la pièce que j’avois retenue, pour lui montrer qu’il ne s’était pas trompé ; et, comme il ne l’avoit point vu représenter, je crus à propos de lui envoyer les arguments de chaque scène, pour lui montrer que, quoique cette pièce fût admirable, sauteur, en la représentant lui-même, y savoit encore faire découvrir de nouvelles beautés. Je n’oubliai pas de lui mander expressement, et même de le conjurer, de n’en laisser rien sortir de ses mains ; cependant, sans savoir comment cela s’est fait, j’en ai vu courir huit ou dix copies en cette ville, et j’ai su que quantité de gens étoient prêts de la faire mettre sous la presse ; ce qui m’a mis dans une colère d’autant plus grande que la plupart de ceux qui ont décrit cet ouvrage l'ont tellement défiguré, soit en y ajoutant, soit en y diminuant, que je ne l’ai pas trouvé reconnoissable : et comme il y alloit de votre gloire et de la mienne que l’on ne l’imprimât pas de la sorte, à cause des vers que vous avez faits, et de la prose que j’y ai ajoutée, j’ai cru qu’il falloit aller au-devant de ces messieurs, qui impriment les gens malgré qu’ils en aient, et donner une copie qui fût correcte (je puis parler ainsi, puisque je crois que vous trouverez votre pièce dans les formes) ; j’ai pourtant combattu longtemps avant que de la donner, mais enfin j’ai vu que c’étoit une nécessité que nous fussions imprimés, et je m’y suis résolu d’autant plus volontiers que j’ai vu que cela ne vous pouvoit apporter aucun dommage, non plus qu’à votre troupe, puisque votre pièce » été jouée près de cinquante fois.

Je suis, monsieur, votre, etc.