Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/406

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Ah ! sois un peu sensible à ma disgrâce extrême,
Élise, et prends pitié d’un cœur infortuné,
Qu’aux plus vives douleurs tu vois abandonné.

Élise

Seigneur, que je verrais le tourment qui vous presse ;
Mais nous avons du Ciel ou du tempérament
Que nous jugeons de tout chacun diversement.
Et puisqu'elle vous blâme, et que sa fantaisie
Lui fait un monstre affreux de votre jalousie,
Je serais complaisant, et voudrais m'efforcer
De cacher à ses yeux ce qui peut les blesser.
Un amant suit sans doute une utile méthode,
S'il fait qu'à notre humeur la sienne s'accommode ;
Et cent devoirs font moins que ces ajustements
Qui font croire en deux coeurs les mêmes sentiments :
L’art de ces doux rapports fortement les assemble,
Et nous n’aimons rien tant que ce qui nous ressemble.

Dom Garcie
Je le sais ; mais, hélas ! les destins inhumains
S'opposent à l'effet de ces justes desseins,
Et, malgré tous mes soins, viennent toujours me tendre
Un piège dont mon cœur ne saurait se défendre.
Ce n'est pas que l'ingrate aux yeux de mon rival
N'ait fait contre mes feux un aveu trop fatal,
Et témoigné pour lui des excès de tendresse
Dont le cruel objet me reviendra sans cesse.
Mais comme trop d'ardeur enfin m'avait séduit
Quand j'ai cru qu'en ces lieux elle l'ait introduit,
D'un trop cuisant ennui je sentirais l'atteinte
À lui laisser sur moi quelque sujet de plainte.
Oui, je veux faire au moins, si je m'en vois quitté,
Que ce soit de son cœur pure infidélité,
Et venant m'excuser d'un trait de promptitude,
Dérober tout prétexte à son ingratitude.

Élise
Laissez un peu de temps à son ressentiment,
Et ne la voyez point, Seigneur, si promptement.

Dom Garcie