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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/41

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DU THÉÂTRE EN FRANCE

déclamations des beautés de premier ordre, et rendant à la tragédie ce qu’elle semblait avoir perdu sans retour, la vie, l’intérêt, l’action, il donne à la France, qui peut désormais compter avec la Grèce, le troisième de ses grands tragiques.

La Harpe, qui avait débuté en 1763 par Warwick, et Ducis qui débuta en 1769 par Hamlet, obtinrent tous deux, à côté des succès éclatants de Voltaire, un succès d’estime. Quant à la comédie, elle eut, avec Collin d’Harleville et Andrieux, un retour assez marqué vers le naturel et l’observation, et par le Mariage de Figaro, composé en 1780 et joué en 1784, elle entra dans une phase entièrement nouvelle. Louis XVI, qui devinait la portée de cette œuvre, ne voulait point la laisser jouer. « Eh bien ! dit Beaumarchais, le roi ne veut point qu’on représente ma pièce, et je jure, moi, qu’elle sera jouée dans le chœur de Notre-Dame. » C’est qu’en effet Figaro était le véritable prologue de la révolution ; et quand il parut sur la scène, la société qu’il écrasait sous l’insulte se reconnut elle-même, et assista en applaudissant au spectacle de sa propre agonie.

La révolution avait trouvé son prophète dans Beaumarchais ; dans Marie-Joseph Chénier elle trouva son poëte. Charles IX, qui marque l’avénement de la tragédie révolutionnaire, fut donné le 4 novembre 1789. Avant le lever du rideau un orateur du parterre demanda que tout perturbateur fût livré à la justice du peuple. Mirabeau de sa loge donna le signal des applaudissements, et Danton s’écria aux dernières scènes : « Si Figaro a tué la noblesse, Charles IX tuera la royauté[1]. » Il fallait, pour réussir, s’adresser aux passions populaires, et les écrivains, avides avant tout du succès, s’empressèrent de sacrifier l’art à la déclamation politique. La scène devint une annexe des clubs, et on peut juger de l’esprit des pièces, tragédies, drames ou comédies, par leurs titres seuls : Mutius Scévola, les Victimes cloîtrées, les Rigueurs du Cloître, les Dragons et les Bénédictines, le Tribunal de l’Inquisition dévoilé, etc.[2].

  1. Voyez Ch. Labitte, Études littéraires, t. II, p. 28.
  2. Voir : Hist. du Théâtre Français pendant la révolution, par Étienne et Martainville, Paris, 1804, 4 vol. in-12.