Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/421

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Madame, au désespoir où son destin l'expose
De tous mes déplaisirs n'imputez pas la cause :
Vous me rendrez justice en croyant que mon cœur
Fait de vos intérêts sa plus vive douleur,
Que bien plus que l'amour l'amitié m'est sensible,
Et que si je me plains d'une disgrâce horrible,
C'est de voir que du Ciel le funeste courroux
Ait pris chez moi les traits qu'il lance contre vous,
Et rendu mes regards coupables d'une flamme
Qui traite indignement les bontés de votre âme.

Done Ignès
C'est un événement dont sans doute vos yeux
N'ont point pour moi, Madame, à quereller les Cieux.
Si les faibles attraits qu'étale mon visage
M'exposaient au destin de souffrir un volage,
Le Ciel ne pouvait mieux m'adoucir de tels coups,
Quand pour m'ôter ce cœur il s'est servi de vous ;
Et mon front ne doit point rougir d'une inconstance
Qui de vos traits aux miens marque la différence.
Si pour ce changement je pousse des soupirs,
Ils viennent de le voir fatal à vos désirs ;
Et dans cette douleur que l'amitié m'excite
Je m'accuse pour vous de mon peu de mérite,
Qui n'a pu retenir un cœur dont les tributs
Causent un si grand trouble à vos vœux combattus.

Done Elvire
Accusez-vous plutôt de l’injuste silence
Qui m’a de vos deux cœurs caché l’intelligence,
Ce secret plus tôt su, peut-être à toutes deux
Nous aurait épargné des troubles si fâcheux ;
Et mes justes froideurs des désirs d’un volage
Au point de leur naissance ayant banni l’hommage
Eussent pu renvoyer…

Done Ignès
Eussent pu renvoyer… Madame, le voici.

Done Elvire
Sans rencontrer ses yeux vous pouvez être ici,