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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/432

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L’ÉCOLE DES MARIS.

Et que chacun de nous vive comme il l’entend.
Bien que sur moi des ans vous ayez l’avantage
Et soyez assez vieux pour devoir être sage,
Je vous dirai pourtant que mes intentions
Sont de ne prendre point de vos corrections,
Que j’ai pour tout conseil ma fantaisie à suivre,
Et me trouve fort bien de ma façon de vivre.

Ariste

Mais chacun la condamne.

Sganarelle

Oui, des fous comme vous,
Mon frère.

Ariste

Grand merci : le compliment est doux.

Sganarelle

Je voudrais bien savoir, puisqu’il faut tout entendre,
Ce que ces beaux censeurs en moi peuvent reprendre.

Ariste

Cette farouche humeur, dont la sévérité
Fuit toutes les douceurs de la société,
À tous vos procédés inspire un air bizarre,
Et, jusques à l’habit, vous rend chez vous barbare.

Sganarelle

Il est vrai qu’à la mode il faut m’assujettir,
Et ce n’est pas pour moi que je me dois vêtir !
Ne voudriez-vous point, par vos belles sornettes,
Monsieur mon frère aîné (car, Dieu merci, vous l’êtes
D’une vingtaine d’ans, à ne vous rien celer,
Et cela ne vaut point la peine d’en parler),
Ne voudriez-vous point, dis-je, sur ces matières,
De vos jeunes muguets m’inspirer les manières ?
M’obliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux,
Et de ces blonds cheveux, de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure ?
De ces petits pourpoints sous les bras se perdant,
Et de ces grands collets jusqu’au nombril pendants ?
De ces manches qu’à table on voit tâter les sauces,