Aller au contenu

Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxxiii
DU THÉÂTRE EN FRANCE

gereuses, pour enlever des succès et faire des recettes. Le drame moderne a été l’une des causes les plus actives de cette décomposition morale à laquelle nous assistons depuis vingt ans, et pour la caractériser on ne peut mieux faire que de rappeler le mot lancé par Tertullien dans son éloquente malédiction contre le théâtre du paganisme : Tragediæ, scelerum et libidinum actrices, cruentæ et lascivæ[1].

Depuis, une réaction très-vive s’est opérée contre ces excès. En 1839 on vit reparaître sur les affiches du Théâtre-Français, avec le concours d’une jeune et grande tragédienne, Andromaque, Mithridate, Cinna, Polyeucte, Phèdre ; et cette renaissance des chefs-d’œuvre classiques entraîna de nouveau sur les pas des maîtres une foule d’imitateurs, parmi lesquels il ne s’est point encore révélé, jusqu’ici, un seul poëte tragique vraiment digne de ce nom.

Dans la comédie de mœurs et de caractère, les succès vraiment littéraires ont été obtenus, on le sait, par Casimir Delavigne et par M. Scribe. L’École des Vieillards, la Popularité, Bertrand et Raton, le Verre d’eau, les proverbes de M. Alfred de Musset, et la comédie de M. Jules Sandeau : Mademoiselle de la Seiglière, peintures exactes et vives des mœurs de notre temps, se placeront, sans aucun doute, à côté des pièces telles que Turcaret, la Métromanie, le Méchant, qui forment, au-dessous de Molière, l’héritage durable de notre répertoire. Mais, par malheur, les grandes compositions comiques sont devenues de plus en plus rares, et cela devait arriver, du moment où l’art a été exploité par les écrivains comme une spéculation purement mercantile. On a escompté les succès littéraires contre les succès d’argent, et remplacé les grandes pièces par les pièces de fantaisie, comédies-vaudevilles, vaudevilles, revues, pochades, etc., parce que c’était de ce côté qu’il était le plus facile de réaliser des bénéfices. Dans un espace de dix ans, de 1835 à 1845, les huit cents auteurs qui alimentent nos théâtres ont donné trois mille vingt-deux pièces nouvelles, dont deux mille quatre-vingt-trois vaudevilles et comédies-vau-

  1. Les tragédies, aiguillon des crimes et des passions, cruelles et obscènes.