Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/467

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Qu’ayant appris le désespoir
Où j’ai précipité celui qu’elle aime à voir,
Elle vient me prier de souffrir que sa flamme
Puisse rompre un départ qui lui percerait l’âme,
Entretenir ce soir cet amant sous mon nom
Par la petite rue où ma chambre répond,
Lui peindre, d’une voix qui contrefait la mienne,
Quelques doux sentiments dont l’appas le retienne,
Et ménager enfin pour elle adroitement
Ce que pour moi l’on sait qu’il a d’attachement.

Sganarelle
Et tu trouves cela… ?

Isabelle
Moi ? J’en suis courroucée.
Quoi ? Ma soeur, ai-je dit, êtes-vous insensée ?
Ne rougissez-vous point d’avoir pris tant d’amour
Pour ces sortes de gens qui changent chaque jour,
D’oublier votre sexe, et tromper l’espérance
D’un homme dont le ciel vous donnait l’alliance ?

Sganarelle
Il le mérite bien, et j’en suis fort ravi.

Isabelle
Enfin de cent raisons mon dépit s’est servi
Pour lui bien reprocher des bassesses si grandes
Et pouvoir cette nuit rejeter ses demandes ;
Mais elle m’a fait voir de si pressants desirs,
A tant versé de pleurs, tant poussé de soupirs,
Tant dit qu’au désespoir je porterais son âme
Si je lui refusais ce qu’exige sa flamme,
Qu’à céder malgré moi mon coeur s’est vu réduit ;
Et pour justifier cette intrigue de nuit,
Où me faisait du sang relâcher la tendresse,
J’allais faire avec moi venir coucher Lucrèce,
Dont vous me vantez tant les vertus chaque jour ;
Mais vous m’avez surprise avec ce prompt retour.

Sganarelle
Non, non, je ne veux point chez moi tout ce mystère.
J’y pourrais consentir à l’égard de mon frère ;
Mais on peut être vu de quelqu’un de dehors ;
Et celle que je dois honorer de mon corps