Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxxv
DU THÉÂTRE EN FRANCE

travaille à démolir ce vieux monde qui doit s’abîmer bientôt dans un immense naufrage. Ce n’est plus le cœur, la passion qui l’inspirent ; c’est l’esprit, et son défaut c’est l’excès même de cet esprit. Dans les jours troublés de la révolution, il est orageux, désordonné comme un club ou comme une émeute, déclamatoire comme un discours de la Convention, et presque toujours faux, parce qu’il exagère toujours dans la politique comme dans le sentiment. — Méthodique et régulier sous l’empire, il emprunte ses règles au vieux classicisme ; enfin, depuis vingt ans il a tenté tous les essais, comme la société elle-même tentait tous les systèmes : nous l’avons vu tout à la fois religieux, chevaleresque, classique, parce qu’une partie de cette société était conservatrice et s’attachait aux traditions ; romantique, c’est-à-dire révolutionnaire en littérature, parce qu’une autre partie était profondément révolutionnaire en politique ; atroce, parce qu’il s’adressait a un public blasé ; obscène, parce qu’il avait besoin, pour réussir, de flatter les instincts dépravés des populations corrompues d’une grande ville. Il a été fécond plus que dans une autre époque, parce qu’il était devenu mercantile, et qu’il devait en être ainsi dans un temps qui a fait son dieu de l’argent. Au milieu d’une foule de productions destinées à ne vivre qu’un jour, il a donné des œuvres durables qui se placeront incontestablement à côté de ce qu’il y a de plus élevé dans notre répertoire du second ordre ; mais dans tous les genres vraiment littéraires il est resté inférieur au Théâtre du grand siècle de toute la distance qui sépare le talent du génie ; et par les solennels hommages qu’il a rendus à Molière, il a semblé reconnaître que c’était à un autre temps qu’il devait demander sa gloire impérissable.

Charles Louandre.

Mai, 1850.