Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/499

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Console-moi, marquis, d’une étrange partie
Qu’au piquet je perdis hier contre un Saint-Bouvain,
À qui je donnerois quinze points et la main.
C’est un coup enragé, qui depuis hier m’accable,
Et qui feroit donner tous les joueurs au diable,
Un coup assurément à se pendre en public.


Il ne m’en faut que deux  ; l’autre a besoin d’un pic  :
Je donne, il en prend six, et demande à refaire  ;
Moi, me voyant de tout, je n’en voulus rien faire.
Je porte l’as de trèfle (admire mon malheur),
L’as, le roi, le valet, le huit et dix de cœur,
Et quitte, comme au point alloit la politique,
Dame et roi de carreau, dix et dame de pique.
Sur mes cinq cœurs portés la dame arrive encor,
Qui me fait justement une quinte major.
Mais mon homme avec l’as, non sans surprise extrême,
Des bas carreaux sur table étale une sixième.
J’en avois écarté la dame avec le roi  ;
Mais lui fallant un pic, je sortis hors d’effroi,
Et croyois bien du moins faire deux points uniques.
Avec les sept carreaux il avoit quatre piques,


Et jetant le dernier, m’a mis dans l’embarras
De ne savoir lequel garder de mes deux as.
J’ai jeté l’as de cœur, avec raison, me semble  ;
Mais il avoit quitté quatre trèfles ensemble,
Et par un six de cœur je me suis vu capot,
Sans pouvoir, de dépit, proférer un seul mot.
Morbleu  ! Fais-moi raison de ce coup effroyable  :
À moins que l’avoir vu, peut-il être croyable  ?
Éraste.
C’est dans le jeu qu’on voit les plus grands coups du sort.
Alcippe.
Parbleu  ! Tu jugeras toi-même si j’ai tort,
Et si c’est sans raison que ce coup me transporte  ;
Car voici nos deux jeux, qu’exprès sur moi je porte.
Tiens, c’est ici mon port, comme je te l’ai dit,
Et voici...


Éraste.
J’ai compris le tout par to