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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

tune pourtant ne semble pas leur avoir été beaucoup plus favorable de ce côté, car, très-peu de temps après, nous ne les y trouvons plus. Lassés de ne jouer que pour les bateliers du port Saint-Paul et les postillons de l’hôtel de Sens, ils sont retournés au faubourg Saint-Germain, et ils y donnent des représentations dans le jeu de paume de la Croix-Blanche, au carrefour Buci. Eurent-ils là des journées moins rudes ? trouvèrent-ils des spectateurs plus intelligents et mieux disposés ? C’est probable. Leur séjour plus long me fait croire à une fortune meilleure. »

La fortune fut meilleure peut-être, mais il ne paraît pas qu’elle eût été brillante. Malgré le talent des acteurs et la protection de quelques grands personnages, l’Illustre Théâtre ne faisait pas ses frais. Molière, qui en était le directeur, répondait pour ses camarades et garantissait, aux dépens de son patrimoine, les frais de l’exploitation. Le 31 mars 1645, il signait à Jeanne Lévi, marchande publique[1], une obligation de 291 livres tournois, et lui donnait en gage des rubans en broderie d’or et d’argent ; il ne put rembourser à l’échéance, et autorisa sa créancière à se défaire des rubans, mais ils ne couvraient pas la dette, et le 20 juin 1645, la marchande obtint une sentence contre son débiteur, qui ne put la rembourser que quatorze ans plus tard. Au mois d’août de la même année, il était détenu au grand Châtelet, à la requête du fournisseur des chandelles de l’Illustre Théâtre, pour une somme de 142 livres ; d’autres créanciers le poursuivaient encore ; il fut mis en prison pendant quelques jours, et ne put recouvrer la liberté qu’en donnant caution. Une partie des acteurs, découragée par le peu de succès de l’entreprise, alla chercher fortune ailleurs ; et en 1646, Molière, avec les débris de sa troupe, se rendit en province accompagné de Joseph, de Madeleine et de Geneviève Béjart.

  1. Ce mot correspond à ceux de revendeuse à la toilette et marchande à tempérament, de notre moderne vocabulaire.