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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/605

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SCÈNE I


Uranie

Pour moi j’aime la compagnie, je l’avoue.

Élise

Je l’aime aussi, mais je l’aime choisie ; et la quantité des sottes visites qu’il vous faut essuyer parmi les autres, est cause bien souvent que je prends plaisir d’être seule.

Uranie

La délicatesse est trop grande de ne pouvoir souffrir que des gens triés.

Élise

Et la complaisance est trop générale de souffrir indifféremment toutes sortes de personnes.

Uranie

Je goûte ceux qui sont raisonnables, et me divertis des extravagants.

Élise

Ma foi, les extravagants ne vont guère loin sans vous ennuyer, et la plupart de ces gens-là ne sont plus plaisants dès la seconde visite. Mais, à propos d’extravagants, ne voulez-vous pas me défaire de votre marquis incommode ? Pensez-vous me le laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à ses turlupinades perpétuelles ?

Uranie

Ce langage est à la mode, et l’on le tourne en plaisanterie à la cour.

Élise

Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour à parler ce jargon obscur. La belle chose de faire entrer, aux conversations du Louvre, de vieilles équivoques ramassées parmi les boues des Halles et de la place Maubert ! La jolie façon de plaisanter pour des courtisans, et qu’un homme montre d’esprit lorsqu’il vient vous dire : Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil ; à cause que Bonneuil est un village à trois lieues d’ici ! Cela n’est-il pas bien galant et bien spirituel ? Et ceux qui trouvent ces belles rencontres n’ont-ils pas lieu de s’en glorifier ?

Uranie

On ne dit pas cela aussi, comme une chose spirituelle ; et la plupart de ceux qui affectent ce langage savent bien eux-mêmes qu’il est ridicule.