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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/630

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leurs guerres d’esprit, et leurs combats de prose, et de vers.

Lysidas

Molière est bien heureux, monsieur, d’avoir un protecteur aussi chaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il est question de savoir si sa pièce est bonne, et je m’offre d’y montrer partout cent défauts visibles.

Uranie

C’est une étrange chose de vous autres messieurs les poètes, que vous condamniez toujours les pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va. Vous montrez pour les unes une haine invincible, et pour les autres une tendresse qui n’est pas concevable.

Dorante

C’est qu’il est généreux de se ranger du côté des affligés.

Uranie

Mais de grâce, monsieur Lysidas, faites-nous voir ces défauts, dont je ne me suis point aperçue.

Lysidas

Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d’abord, madame, que cette comédie pèche contre toutes les règles de l’art.

Uranie

Je vous avoue que je n’ai aucune habitude avec ces messieurs-là, et que je ne sais point les règles de l’art.

Dorante

Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l’art soient les plus grands mystères du monde ; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations les fait aisément tous les jours, sans le secours d’Horace et d’Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin.