Si les hommes auront assez d’effronterie,
Seront assez méchants, scélérats, et pervers,
Pour me faire injustice aux yeux de l’univers.
Pour la beauté du fait, avoir perdu ma cause[1].
Si l’on vous entendait parler de la façon.
Que vous voulez en tout avec exactitude,
Cette pleine droiture où vous vous renfermez,
La trouvez-vous ici dans ce que vous aimez ?
Je m’étonne, pour moi, qu’étant, comme il le semble,
Vous et le genre humain, si fort brouillés ensemble,
Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux,
Vous ayez pris chez lui ce qui charme vos yeux[2] ;
Et ce qui me surprend encore davantage,
C’est cet étrange choix où votre cœur s’engage.
La sincère Éliante a du penchant pour vous,
La prude Arsinoé vous voit d’un œil fort doux ;
Cependant à leurs vœux votre âme se refuse,
Tandis qu’en ses liens Célimène l’amuse,
De qui l’humeur coquette et l’esprit médisant
Semblent si fort donner dans les mœurs d’à présent.
D’où vient que, leur portant une haine mortelle,
Vous pouvez bien souffrir ce qu’en tient cette belle ?
Ne sont-ce plus défauts dans un objet si doux ?
Ne les voyez-vous pas, ou les excusez-vous ?
- ↑ Quelque tour qu’on donne à la chose, ou celui qui sollicite un juge l’exhorte à remplir son devoir, et alors il fait une insulte, ou il lui propose une acception de personnes, et alors il veut le séduire, puisque toute acception de personnes est un crime dans un juge, qui doit connaître l’affaire et non les parties, et ne voir que l’ordre et la loi ; or, je dis qu’engager un juge à faire une mauvaise action, c’est la faire soi-même, et qu’il vaut mieux perdre une cause juste, que de faire une mauvaise action. Cela est clair, net ; il n’y a rien à répondre.
(Jean-Jacques Rousseau.) - ↑ Variante : Vous avez pris chez lui ce qui charme vos yeux.