Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/390

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Et, pour conter l’histoire où ce point l’engagea…
(Montrant Cléante.)
Voilà-t-il pas monsieur qui ricane déjà !
165Allez chercher vos fous qui vous donnent à rire,
(À Elmire.)
Et sans… Adieu, ma bru ; je ne veux plus rien dire.
Sachez que pour céans j’en rabats de moitié,
Et qu’il fera beau temps quand j’y mettrai le pied.
(Donnant un soufflet à Flipote.)
Allons, vous, vous rêvez et bayez aux corneilles.
170Jour de Dieu ! je saurai vous frotter les oreilles.
Marchons, gaupe, marchons[1].



Scène 2

Cléante, Dorine.


Cléante
Marchons, gaupe, marchons.Je n’y veux point aller,

De peur qu’elle ne vînt encor me quereller,
Que cette bonne femme…

Dorine
Que cette bonne femme… Ah ! certes, c’est dommage

Qu’elle ne vous ouît tenir un tel langage :
175Elle vous dirait bien qu’elle vous trouve bon,
Et qu’elle n’est point d’âge à lui donner ce nom !

Cléante
Comme elle s’est pour rien contre nous échauffée !

Et que de son Tartuffe elle paraît coiffée !

Dorine
Oh ! vraiment, tout cela n’est rien au prix du fils :

180Et, si vous l’aviez vu, vous diriez : C’est bien pis !
Nos troubles l’avaient mis sur le pied d’homme sage,

  1. L’exposition vaut seule une pièce entière : c’est une espèce d’action. L’ouverture de la scène vous transporte sur-le-champ dans l’intérieur d’un ménage où la mauvaise humeur et le babil grondeur d’une vieille femme, la contrariété des avis et la marche du dialogue, font ressortir naturellement tous les personnages, que le spectateur doit connaître sans que le poète ait l’air de les lui montrer. Le sot entêtement d’Orgon pour Tartuffe, les simagrées de dévotion et de zèle du faux dévot, le caractère tranquille et réservé d’Elmire, la fougue impétueuse de son fils Damis, la saine philosophie de son frère Cléante, la gaieté caustique de Dorine, et la liberté familière que lui donne une longue habitude de dire son avis sur tout, la douceur timide de Mariane, tout ce que la suite de la pièce doit développer, tout, jusqu’à l’amour de Tartuffe pour Elmire, est annoncé dans cette scène, qui est à la fois une exposition, un tableau, une situation.
    (La Harpe.)