Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/460

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Tartuffe
Oui, je sais quels secours j’en ai pu recevoir ;

1880Mais l’intérêt du prince est mon premier devoir.
De ce devoir sacré la juste violence
Étouffe dans mon cœur toute reconnaissance :
Et je sacrifierais à de si puissants nœuds
Ami, femme, parents, et moi-même avec eux.

Elmire
1885L’imposteur !


Dorine
L’imposteur ! Comme il sait, de traîtresse manière,

Se faire un beau manteau de tout ce qu’on révère !

Cléante
Mais, s’il est si parfait que vous le déclarez,

Ce zèle qui vous pousse et dont vous vous parez,
D’où vient que pour paraître il s’avise d’attendre
1890Qu’à poursuivre sa femme il ait su vous surprendre
Et que vous ne songez à l’aller dénoncer
Que lorsque son honneur l’oblige à vous chasser ?
Je ne vous parle point, pour devoir en distraire[1],
Du don de tout son bien qu’il venait de vous faire ;
1895Mais, le voulant traiter en coupable aujourd’hui,
Pourquoi consentiez-vous à rien prendre de lui ?

Tartuffe, à l’Exempt
Délivrez-moi, monsieur, de la criaillerie ;

Et daignez accomplir votre ordre, je vous prie.

L’Exempt
Oui, c’est trop demeurer, sans doute, à l’accomplir ;

1900Votre bouche à propos m’invite à le remplir :
Et, pour l’exécuter, suivez-moi tout à l’heure
Dans la prison qu’on doit vous donner pour demeure.

Tartuffe
Qui ? moi, monsieur ?


L’Exempt
Qui ? moi, Monsieur ? Oui, vous.
  1. Pour devoir en distraire, signifie probablement pour avoir dû vous détourner d’une telle action. Il serait difficile d’être plus obscur. Ce passage, et bien d’autres, font voir que Molière suivait en versifiant la méthode de Boileau, de commencer par le second vers, et d’y renfermer toute l’énergie de la pensée dans les termes les plus propres. Le premier se faisant ensuite du mieux qu’on pouvait, ajusté sur le second. Molière a dû, comme Virgile, laisser souvent des hémistiches vides, qu’il remplissait à la hâte au dernier moment.
    (F. Génin.)