Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/67

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noncer à deux siècles en arrière de nous. Une polémique violente s’engagea contre la pièce, qui disparut bientôt de la scène sans être imprimée. L’effet qu’elle avait produit sur les personnes sincèrement pieuses, sur les plus purs adeptes du jansénisme, se retrouve encore dans l’ouvrage déjà cité du prince de Conti. « Y a-t-il, s’écrie le prince théologien, une école d’athéisme plus ouverte que le Festin de Pierre, où, après avoir fait dire toutes les impiétés les plus horribles à un athée qui a beaucoup d’esprit, l’auteur confie la cause de Dieu à un valet à qui il fait dire, pour la soutenir, toutes les impertinences du monde ? Et il prétend justifier à la fin sa comédie, si pleine de blasphèmes, à la faveur d’une fusée qu’il fait le ministre ridicule de la vengeance divine ! » Tout cela pouvait être mieux dit, mais ne manquait pas de raison, et, s’il était possible de croire que Molière eût conçu le dessein candide d’écrire un drame contre l’impiété, il faudrait reconnaître qu’il n’y avait pas réussi. »

Aujourd’hui, entre Molière et nous, il y a le dix-huitième siècle et la révolution française. Les querelles soulevées par ce qu’on pourrait appeler les cas de conscience, sont apaisées depuis longtemps, et le Festin de Pierre est tout simplement à nos yeux une œuvre d’art, le premier et sans aucun doute le plus beau de tous les drames romantiques qui aient paru sur la scène française. Si cette pièce éprouva, lors de son apparition, une opposition violente, on peut dire qu’elle n’a plus aujourd’hui que des admirateurs. Faut-il en conclure que les vices dont le personnage de don Juan offre le modèle le plus accompli, aient trouvé auprès de la société moderne encouragement et indulgence ? M. Saint-Marc Girardin répondra, mieux que nous ne le saurions faire, à cette question, qui se présente naturellement ici : « La société, dit M. Saint-Marc, applaudit aux hardiesses de don Juan, tant qu’il parle, tant qu’il fait des drames et des romans. Mais que don Juan ne s’avise pas de vouloir pratiquer ses maximes, qu’il ne s’avise pas de vouloir agir comme il parle : notre société ne veut de don Juan qu’au théâtre, elle le redoute et le réprime dans le monde ; singulière contradiction que don Juan ne comprend pas. — Eh quoi ! dit-il, ce que j’ai voulu faire une fois, je l’ai dit cent fois, et vous m’avez applaudi ! — C’est vrai. — J’ai ri cent fois de la fidélité des femmes et de l’honneur des maris, et vous avez ri avec moi ! — C’est vrai. — Je me suis fait le défenseur des jeunes filles qui se croient sacrifiées et des jeunes gens de génie qui se trouvent méconnus, et vous m’avez encouragé ! — C’est vrai. — Pourrquoi donc aujourd’hui, gens bizarres que vous êtes, pourquoi cette secrète répugnance que je sens contre moi ? pourquoi ce délaissement que je ne comprends pas ? — Je vais vous le