Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MONSIEUR JOURDAIN.

Touchez là, monsieur ; ma fille n’est pas pour vous.

CLÉONTE.

Comment ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Vous n’êtes pont gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille.

MADAME JOURDAIN.

Que voulez-vous donc dire avec votre gentilhomme ? est-ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Taisez-vous, ma femme ; je vous vois venir.

MADAME JOURDAIN.

Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Voilà pas le coup de langue ?

MADAME JOURDAIN.

Et votre père n’étoit-il pas marchand aussi bien que le mien ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Peste soit de la femme ! elle n’y a jamais manqué. Si votre père a été marchand, tant pis pour lui ; mais pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j’ai à vous dire, moi, c’est que je veux avoir un gendre gentilhomme.

MADAME JOURDAIN.

Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre ; et il vaut mieux, pour elle, un honnête homme riche et bien fait, qu’un gentilhomme gueux et mal bâti.

NICOLE.

Cela est vrai : nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne[1] et le plus sot dadais que j’aie jamais vu.

MONSIEUR JOURDAIN, à Nicole.

Taisez-vous, impertinente ; vous vous fourrez toujours dans la conversation. J’ai du bien assez pour ma fille ; je n’ai besoin que d’honneurs, et je la veux faire marquise.

MADAME JOURDAIN.

Marquise ?

  1. Malitorne. de male tornatus, maladroit, inepte, qui ne peut rien faire de bien ni à propos. (Michelet.)