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Les Fourberies de Scapin.

Scapin.

Oui, il y a quelque chose à dire à cela. Mais je serois d’avis que vous ne fissiez point de bruit.

Argante.

Je ne suis pas de cet avis, moi ; et je veux faire du bruit tout mon soûl. Quoi ! tu ne trouves pas que j’aie tous les sujets du monde d’être en colère ?

Scapin.

Si fait, j’y ai d’abord été, moi, lorsque j’ai su la chose ; et je me suis intéressé pour vous, jusqu’à quereller votre fils. Demandez-lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l’ai chapitré sur le peu de respect qu’il gardoit à un père dont il devoit baiser les pas. On ne peut pas lui mieux parler, quand ce seroit vous-même. Mais quoi ! je me suis rendu à la raison, et j’ai considéré que, dans le fond, il n’a pas tant de tort qu’on pourrait croire.

Argante.

Que me viens-tu conter ? Il n’a pas tant de tort de s’aller marier de but en blanc avec une inconnue ?

Scapin.

Que voulez-vous ? Il y a été poussé par sa destinée.

Argante.

Ah ! ah ! Voici une raison la plus belle du monde. On n’a plus qu’à commettre tous les crimes imaginables, tromper, voler, assassiner, et dire, pour excuse, qu’on y a été poussé par sa destinée.

Scapin.

Mon Dieu ! vous prenez mes paroles trop en philosophe. Je veux dire qu’il s’est trouvé fatalement engagé dans cette affaire.

Argante.

Et pourquoi s’y engageait-il ?

Scapin.

Voulez-vous qu’il soit aussi sage que vous ? Les jeunes gens sont jeunes, et n’ont pas toute la prudence qu’il leur faudroit pour ne rien faire que de raisonnable : témoin notre Léandre, qui malgré toutes mes leçons, malgré toutes mes remontrances, est allé faire, de son côté, pis encore que votre fils. Je voudrois bien savoir si vous-même n’avez pas été jeune, et n’avez pas, dans votre temps, fait des fredaines comme les autres. J’ai ouï dire, moi, que vous avez été au-