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SCÈNE I.

jourd’hui me divertira davantage. Notre comtesse d’Escarbagnas, avec son perpétuel entêtement de qualité, est un aussi bon personnage qu’on en puisse mettre sur le théâtre. Le petit voyage qu’elle a fait à Paris l’a ramenée dans Angoulême plus achevée qu’elle n’étoit. L’approche de l’air de la cour a donné à son ridicule de nouveaux agréments, et sa sottise tous les jours ne fait que croître et embellir.

Le Vicomte.

Oui ; mais vous ne considérez pas que le jeu qui vous divertit tient mon cœur au supplice, et qu’on n’est point capable de se jouer longtemps, lorsqu’on a dans l’esprit une passion aussi sérieuse que celle que je sens pour vous. Il est cruel, belle Julie, que cet amusement dérobe à mon amour un temps qu’il voudroit employer à vous expliquer son ardeur ; et, cette nuit, j’ai fait là-dessus quelques vers, que je ne puis m’empêcher de vous réciter, sans que vous me le demandiez, tant la démangeaison de dire ses ouvrages est un vice attaché à la qualité de poëte !

C’est trop longtemps, Iris, me mettre à la torture ;

Iris, comme vous le voyez, est mis là pour Julie.

C’est trop longtemps, Iris, me mettre à la torture,
Et, si je suis vos lois, je les blâme tout bas
De me forcer à taire un tourment que j’endure,
Pour déclarer un mal que je ne ressens pas.

Faut-il que vos beaux yeux, à qui je rends les armes,
Veuillent se divertir de mes tristes soupirs ?
Et n’est-ce pas assez de souffrir pour vos charmes,
Sans me faire souffrir encor pour vos plaisirs ?

C’en est trop à la fois que ce double martyre ;
Et ce qu’il me faut taire, et ce qu’il me faut dire
Exerce sur mon cœur pareille cruauté.

L’amour le met en feu, la contrainte le tue ;
Et, si par la pitié vous n’êtes combattue,
Je meurs et de la feinte, et de la vérité.

Julie.

Je vois que vous vous faites là bien plus maltraité que vous n’êtes ; mais c’est une licence que prennent messieurs les poëtes de mentir de gaieté de cœur, et de donner à leurs maîtresses des cruautés qu’elles n’ont pas, pour s’ac