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ACTE I, SCÈNE I.

Les bas amusements de ces sortes d’affaires.
À de plus hauts objets élevez vos desirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,
Et, traitant de mépris les sens et la matière,
À l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière
Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,
Que du nom de savante on honore en tous lieux :
Tâchez, ainsi que moi, de vous montrer sa fille :
Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,
Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs
Que l’amour de l’étude épanche dans les cœurs.
Loin d’être aux lois d’un homme en esclave asservie,
Mariez-vous, ma sœur, à la philosophie,
Qui nous monte au-dessus de tout le genre humain,
Et donne à la raison l’empire souverain,
Soumettant à ses lois la partie animale,
Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale.
Ce sont là les beaux feux, les doux attachements
Qui doivent de la vie occuper les moments ;
Et les soins où je vois tant de femmes sensibles
Me paroissent aux yeux des pauvretés horribles.

Henriette.
Le ciel, dont nous voyons que l’ordre est tout-puissant,
Pour différents emplois nous fabrique en naissant ;
Et tout esprit n’est pas composé d’une étoffe
Qui se trouve taillée à faire un philosophe.
Si le vôtre est né propre aux élévations
Où montent des savants les spéculations,
Le mien est fait, ma sœur, pour aller terre à terre[1],
Et dans les petits soins son foible se resserre.
Ne troublons point du ciel les justes règlements ;
Et de nos deux instincts suivons les mouvements.
Habitez, par l’essor d’un grand et beau génie,
Les hautes régions de la philosophie,
Tandis que mon esprit, se tenant ici-bas,
Goûtera de l’hymen les terrestres appas.
Ainsi, dans nos desseins l’une à l’autre contraire,
Nous saurons toutes deux imiter notre mère :
Vous, du côté de l’âme et des nobles desirs ;

  1. Var. Le mien, ma sœur, est né pour aller terre à terre.