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Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/573

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ACTE IV, SCÈNE III.

Que, vous autres messieurs, vous vous mettez en tête ;
Qu’elle a du sens commun pour se connaître à tout ;
Que chez elle on se peut former quelque bon goût,
Et que l’esprit du monde y vaut, sans flatterie,
Tout le savoir obscur de la pédanterie.

Trissotin.
De son bon goût, monsieur, nous voyons des effets.

Clitandre.
Où voyez-vous, monsieur, qu’elle l’ait si mauvais ?

Trissotin.
Ce que je vois, monsieur ? c’est que pour la science
Rasius et Baldus font honneur à la France ;
Et que tout leur mérite exposé fort au jour,
N’attire point les yeux et les dons de la cour.

Clitandre.
Je vois votre chagrin, et que, par modestie,
Vous ne vous mettez point, monsieur, de la partie,
Et, pour ne vous point mettre aussi dans le propos,
Que font-ils pour l’État, vos habiles héros ?
Qu’est-ce que leurs écrits lui rendent de service,
Pour accuser la cour d’une horrible injustice,
Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms
Elle manque à verser la faveur de ses dons ?
Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire !
Et des livres qu’ils font la Cour a bien affaire !
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que pour être imprimés et reliés en veau,
Les voilà dans l’État d’importantes personnes ;
Qu’avec leur plume ils font les destins des couronnes ;
Qu’au moindre petit bruit de leurs productions,
Ils doivent voir chez eux voler les pensions ;
Que sur eux l’univers a la vue attachée ;
Que partout de leur nom la gloire est épanchée ;
Et qu’en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu’ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles,
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
À se bien barbouiller de grec et de latin,
Et se charger l’esprit d’un ténébreux butin
De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres.
Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres ;