Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/690

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angélique.

Hé ! quoi ?

toinette.

Votre père est mort.

angélique.

Mon père est mort, Toinette ?

toinette.

Oui. Vous le voyez là, il vient de mourir tout à l’heure d’une foiblesse qui lui a pris.

angélique.

Ô ciel ! quelle infortune ! quelle atteinte cruelle ! Hélas ! faut-il que je perde mon père, la seule chose qui me restoit au monde ; et qu’encore, pour un surcroît de désespoir, je le perde dans un moment où il étoit irrité contre moi ! Que deviendrai-je, malheureuse ? et quelle consolation trouver après une si grande perte ?


Scène XXI.

ARGAN, ANGÉLIQUE, CLÉANTE, TOINETTE.
cléante.

Qu’avez-vous donc, belle Angélique ? et quel malheur pleurez-vous ?

angélique.

Hélas ! je pleure tout ce que dans la vie je pouvois perdre de plus cher et de plus précieux ; je pleure la mort de mon père.

cléante.

Ô ciel ! quel accident ! quel coup inopiné ! Hélas ! après la demande que j’avois conjuré votre oncle de lui faire pour moi, je venois me présenter à lui, et tâcher, par mes respects et par mes prières, de disposer son cœur à vous accorder à mes vœux.

angélique.

Ah ! Cléante, ne parlons plus de rien. Laissons là toutes les pensées du mariage. Après la perte de mon père, je ne veux plus être du monde, et j’y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j’ai résisté tantôt à vos volontés, je veux suivre du moins une de vos intentions, et réparer par là le chagrin que je m’accuse de vous avoir donné. (Se jetant à ses genoux.) Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma pa-