Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/78

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mais le diantre[1] est d’en pouvoir trouver les moyens. Attendez : si nous avions quelque femme un peu sur l’âge qui fût de mon talent, et jouât assez bien pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen d’un train fait à la hâte et d’un bizarre nom de marquise ou de vicomtesse, que nous supposerions de la Basse-Bretagne, j’aurois assez d’adresse pour faire accroire à votre père que ce serait une personne riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant ; qu’elle seroit éperdument amoureuse de lui, et souhaiterait de se voir sa femme, jusqu’à lui donner tout son bien par contrat de mariage ; et je ne doute point qu’il ne prêtât l’oreille à la proposition. Car, enfin, il vous aime fort, je le sais, mais il aime un peu plus l’argent ; et quand, ébloui de ce leurre, il auroit une fois consenti à ce qui vous touche, il importeroit peu ensuite qu’il se désabusât, en venant à vouloir voir clair aux effets de notre marquise.

Cléante

Tout cela est fort bien pensé.

Frosine

Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d’une de mes amies qui sera notre fait.

Cléante

Sois assurée, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens à bout de la chose. Mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner votre mère ; c’est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage. Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu’il vous sera possible. Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur elle cette amitié qu’elle a pour vous. Déployez sans réserve les grâces éloquentes, les charmes tout-puissants que le ciel a placés dans vos yeux et dans votre bouche ; et n’oubliez rien, s’il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières, et de ces caresses touchantes à qui je suis persuadé qu’on ne sauroit rien refuser.

Mariane

J’y ferai tout ce que je puis, et n’oublierai aucune chose.

  1. Diantre, pour diable. Rabelais a dit : Créature du grand vilain diantre d’enfer.