Page:Molière - Œuvres complètes, CL, 1888, tome 03.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE MISANTHROPE

COMÉDIE
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, À PARIS, SUR LE THÉÂTRE
DU PALAIS-ROYAL, LE 4 JUIN 1666.

La société française s’avance dans la route splendide et sévère que le règne de Louis XIV lui a tracée. Les grandes guerres d’Allemagne et de Hollande n’ont pas commencé encore. Recherché par le prince de Condé et les grands seigneurs, admis dans la société intime de Boileau, de la Fontaine, de Racine, et de son ancien ami Chapelle ; continuant à élever l’édifice de sa fortune par une sage économie et un ordre parfait, Molière offrait un exemple frappant de cette double vie mêlée de splendeurs et de tristesses, de gloires et de douleurs qui est souvent le partage des hommes de génie. Son ménage était détruit ; les calomnies de Monfleury, son rival, qui l’accusait d’inceste, avaient fait quelque impression sur le public : les pédants de toutes les classes ne perdaient pas une occasion de lui nuire. Le jeune Racine abandonnait son protecteur et son bienfaiteur, lui enlevait la belle Duparc, qu’il faisait passer à l’hôtel de Bourgogne, c’est-à-dire dans l’armée ennemie, et se plaignait même que Monfleury ne fût pas écouté à la cour. La protectrice de Molière, Anne d’Autriche, venait de mourir. Toujours épris de l’infidèle Armande, à laquelle il avait sans cesse pardonné, il s’était vu forcé de se séparer d’elle, et, de temps à autre, retiré à Auteuil, quittant les tracas de son théâtre, les embarras de sa direction, il allait, comme il l’avoue, pleurer sans contrainte, tantôt dans les bras de son ami Chapelle, auquel il avouait toute sa faiblesse. « Ah ! lui dit-il, j’ai beau faire, je ne