Page:Molière Femmes Savantes.djvu/9

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HENRIETTE.

Et par quelle raison n’y seroit-elle pas ?
Manque-t-il de mérite ? est-ce un choix qui soit bas ?

ARMANDE.

Non, mais c’est un dessein qui seroit mal-honneste,
Que de vouloir d’un autre enlever la conqueste ;
Et ce n’est pas un fait dans le Monde ignoré,
Que Clitandre ait pour moi hautement soûpiré.

HENRIETTE.

Oüy, mais tous ces soûpirs chez vous sont choses vaines,
Et vous ne tombez point aux bassesses humaines ;
Votre Esprit à l’Hymen renonce pour toûjours,
Et la Philosophie a toutes vos amours :
Ainsi n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,
Que vous importe-t-il qu’on y puisse prétendre ?

ARMANDE.

Cet empire que tient la Raison sur les sens,
Ne fait pas renoncer aux douceurs des encens ;
Et l’on peut pour Épous refuser un mérite
Que pour adorateur on veut bien à sa suite.

HENRIETTE.

Je n’ay pas empesché qu’à vos perfections
Il n’ait continué ses adorations ;
Et je n’ay fait que prendre, au refus de vostre ame,
Ce qu’est venu m’offrir l’hommage de sa flame.

ARMANDE.

Mais à l’offre des vœux d’un Amant dépité,
Trouvez-vous, je vous prie, entiere seûreté ?
Croyez-vous pour vos yeux sa passion bien forte,
Et qu’en son cœur pour moy toute flame soit morte ?

HENRIETTE.

Il me le dit, ma Sœur, & pour moy je le croy.

ARMANDE.

Ne soyez pas, ma Sœur, d’une si bonne foy,