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Page:Monet - Invantaire des deux langues, 1635.djvu/17

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idiot, auquel cet aduis ne ſert du tout point : ou ceus d’vn lettreé, à qui il ne peut profiter, car le docte poſſede cete naiſſance d’ailleurs, & mieus, que de cet admoniteur ſans langue.

Et ie dis, que tele ſuperfluité de lettres, qui ne ſonnent point, an notre langue, ne fait qu’importuner, & troubler les moins experimantés. Pour les deliurer donques de toute matiere d’equiuoque, & de trouble, ie veus afranchir mon ecriture de toutes ces lettres ſurnumeraires, & ce d’autant plus libremant, que c’eſt la pratique, & coutume de toute la France, de ne les faire iamais ſonner an parlant.

Ie mets an outre, A, pour E, comme on prononce, an tout le Roiaume, celui-là, pour celui-ci, an tous les moits originaires du Latin. Et voilà tout le changemant que ie fais an l’ecriture vulgaire, qui ne merite pas tant de bruit, qu’on an a fait, iuques à preſant.

Or an ces deus càs, ie dis, & ſœutiens hardimant, qu’aucune regle d’etymologie, aucune coutume, tant ancienne, & generale ſoit-elle, ne me peut lier, ni angager, à tracer lettre quelconque, qui n’ait point de fonction, ni d’vſage ſur le papier, ſ¨non à deceuoir mon lecteur, & le faire choper à tous momans, & an parlant, & an liſant. I’adioute de plus, qu’au contraire, ie me tiens obligé, non ſeulemant de courtoiſie ; mais d’vne eſpece de iuſtice, de ne marquer aucun caractere, an mon ecrit, qui puiſſe mettre an erreur vn etranger, ou vn François ignorant, qui lira mon papier.

Or quand ie voudrois faire paroitre, an ces lettres muetes, les matrices Latines de notre langue, à quoi ſeruiroit, de le pratiquer, an vne ſeule trantieme portion des mots François, ampruntés du Romain : ne ſe preſantant aucune priſe, pour l’exercer an tout le reſte de notre idiome ? Car il eſt tres-certain, que de ce Latin, adopté, & incorporé an notre langue Françoiſe, de trante parts, les vint-neuf ſont telemant defigurées, & deia de toute ancienneté, qu’on ne put diſcerner, qu’an deuinant, aucun veſtige de leur origine, où ſe face remarquer la teinture, & l’air du viſage de leur pere, & mere.

Hors de ces deus chefs, ci deuant quotés, de certaines conſonantes, tout à fait muetes, & dormantes, dans notre langue : item de l’A, mis pour l’E, ie n’ai pas iugé, que ie deuſſe rien altere, an l’ecriture du vulgaire François, & pour iuſtes cauſes, qui ſeront deduites, an la reponſe, à votre ſuiuante concluſion.

IV Cete conuenance de to, & an l’ecriture, & an la prolation des mots Gaullois, doit etre formée bien vniuerſelemant ſur chaque parole, & non particulieremant ſur quelques vnes : & pource, vous aués deu la dreſſer toute antiere, & an l’etanduë complete de notre langue, ce que vous ne ſçauries faire, ou ne pas vous an meler, & tant imparfaitemant.

Iamais aucun decret de Pythagore, aucun arreſt de l’Areopage, ne fut tant abſolu, que cete votre ordonance,  ; Que ſi elle eſt autant bien fondée an droit, que reſoluë an ſes termes, ie ne differe point d’acquieſcer, & de paſſer condamnation, ſans reſerue aucune : mais pour m’an eclaircir, permettés moi de grace, que ie l’examine piece à piece.

Quant à ſon premier chef, eſt-ce point vne regle de droit naturel, diuin, ciuil, canonique, qui vous fait prononcer ; que cete conuenance doit etre formée bien vniuerſelement : Ou ſi c’eſt par fantaſie de votre eſprit, que vous le determinés de la ſorte ? Il eſt euidant, que vous n’etes fondés an aucun droit : reſte donc ſeulemant, que vous le ſoiés an opinion imaginaire ; & an ce cas, il me ſuffit, pour tenir votre Decretal an ſurſeance, que ie ſois de contraire aduis au votre.

Car quel ecriuain a iamais eté, ou peu etre iuſtemant taxp, d’auoir traité à part quelque chef d’vne matiere, & de s’etre deporté des autres, ſur leſquels il n’auoit ancore point de deſſein ? Ie vous ai fait antandre ci deuant, an la premier edition de mon liure, que ie m’etois attaché aus parties de ce ſuiet, qui donnent le plus d’afaire aus etrangers, & aus ignorans de France : qui ſont chefs capables de quelque bon reglemant : & que ie laiſſois arriere les autres, tant pour n’etre aiſés à reduire ſous la regle, que pour n’etre de conſideration.

Au fait de ce dernier point, vous me dites ; Que ie n’an ſçaurois cheuir, & ie vous repars, Que non pas comme les bien braues de France, an cete profeſſion ; mais vn peu mieus, que quelques vns, qui ans parlent trop, & ne l’antandent pas bien. Mais quand vous traités auec moi de ce ſujet, à la maniere, que vous faites, an m’obligeant à cete totale reforme : c’eſt autant, que ſi vous pretandiés m’angager à vous repondre bien diſtinctemant : Quele eſt la plus reguliere, & plus ſtable face de la Lune, laquele n’an eut iamais de permanante, & n’an aura ci apres, ſi elle ne change de nature. La piece de la langue Françoiſe, dont vous me parlés, eſt vne vraie lune, de perpetuel changemant, qui comme la Fortune, n’a autre conſtance, que celle proieter quelque reglemant, pour les aprantis.

V Les ieunes anfans de ce Roiaume, & les etrangers accoutumés à votre façon moderne d’ecriture, an contracteront la mauuaiſe habitude, pour le demeurant de leur vie : & ſemeront cete nouueauté, au long, & au large de l’Eurpoe, au preiudice des ſiecles ſuiuans.

Ils procederont an cet androit, comme ils verront à faire : mais ils ne diront iamais, que ie les aïe exhorté à aucune ſorte d’écriture ; neantmoins, i’aurois eté beaucoup mieus fondé, à leur conſeiller la mienne, que vous à leur ſuader la votre. Et la raiſon de mon dire eſt euidante, dautant que, la choſe de ſoi, leur eſt vtile, bien-ſeante, honnorable, ſæns incommodité du tiers, & fort reuenante à tous ceus, auec leſques ils auront à traiter. Preuués moi le contraire bien à propos, & ie leur donnerai aduis, de s’an departir : comme ie vous conſeille, de me laiſſer an pais, ſi vous n’etes fournis de meilleurs raiſons, pour me combatre, que celles, que vous aués étalées, an cinq foibles propoſitions.

VI Mais auant que conclure cete matiere, ie vous dirai, que ſi i’etois homme de creance auprés de vous, & ſi ie me ſantois aſſés capable, de vous donner aduis, ie coniurerois ce votre grand zele anuers le bien public, & an fait des lettres, , d’exſecuter vn chef-d’œuure, digne de vous, an reformant vn grand abus, qui s’eſt coulé dans ces trois nobles langues, Greque, Latine, Françoiſe, an matiere d’etymologie, qui vous iugés tant importante, & auec raiſon.

Cete votre reforme obligera, & les doctes, & les aprantis aus langues, à l’eternité, & tout anſamble vous