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UNE ŒUVRE D’ARTISTE

quoi ?… ah ça ! non, il prouverait qu’on peut compter sur lui, qu’il n’est pas un trembleur et qu’il ne recule pas à l’heure de l’action — … mais la Louise ? elle en mourra… C’est qu’il l’aimait toujours sa douce et patiente compagne ! elle seule suffisait à l’ébranler dans sa sinistre résolution. Et le petit ?… La lutte dura ainsi toute la semaine ; on était au samedi soir et la croix bénissante reposait toujours sur son socle de pierre.

Ce soir-là Guéridou était hagard. Louise, qui ne soupçonnait pas l’étrange combat, qui se livrait dans l’âme de son homme, le crut malade. Il repoussa ses soins et ne répondit point à son affectueuse interrogation.

La nuit s’avançait ; avec elle s’assombrissait le visage du forgeron. Il prit coup sur coup trois absinthes ; la perfide boisson opéra sur ce cerveau déjà affaibli par les luttes des jours précédents. Soudain il frappa un grand coup sur la table, les bouteilles vides s’entre-choquèrent, puis il jeta un grand éclat de rire et en titubant il sortit. La Louise le vit entrer dans la forge et en ressortir aussitôt : elle allait le suivre, mais de peur de l’exaspérer davantage, elle rentra et se mit en prières au pied du petit lit de Benoit qui, lui, dormait paisiblement.

Guéridou arriva près de la croix ; à sa vue tout son être frissonna, il eut comme un moment de lucidité : ce fut rapide. La satanique boisson exerçait toujours son empire ; ses jambes fléchissaient, son cœur battait à se rompre dans sa poitrine… Le ciel était à l’unisson de son âme ; pas une étoile au firmament, de gros nuages s’amoncelaient : on sentait l’approche de l’orage. Le mistral soufflait avec violence et faisait craquer les