Page:Monod - Portraits et Souvenirs, 1897.djvu/249

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leur verve et qui réservent pour leur famille leurs silences, leur mauvaise humeur et leur ennui ! Combien même de philanthropes que leur amour pour l’humanité en général n’empêche pas de se montrer durs ou égoïstes envers leurs proches ! On peut dire au contraire d’Edmond de Pressensé que ceux qui ne l’ont pas connu dans l’intimité de la vie quotidienne et du cercle de famille n’ont pu se faire qu’une faible idée du charme, de la puissance et de la richesse de sa nature. Pour comprendre quelle intensité de vie était en lui, ce n’était pas assez d’avoir lu ses livres où tant de savoir s’alliait à un style si coloré et si chaleureux, ou entendu ses sermons et ses discours où une éloquence faite de foi et d’amour parlait si directement à l’âme et à la conscience ; il fallait encore l’avoir approché d’assez près pour savoir à quel point cette éloquence était spontanée, et son talent, son esprit, sa verve, la naturelle effusion d’une sensibilité toujours en éveil, d’une âme enthousiaste et désintéressée, constamment mue par l’amour de tout ce qui est beau et bon, par la haine de tout ce qui est laid et impur.

J’ai eu le grand privilège de passer deux années (1860-1862) dans la maison de M. de Pressensé à l’âge où les impressions toutes neuves restent ineffaçables dans l’esprit qui les reçoit ; et il avait bien voulu me permettre de continuer, pendant mes années d’École normale (1862-1865) à considérer sa maison comme un second foyer paternel. Je l’ai