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Page:Monod - Renan, Taine, Michelet, 1894.djvu/276

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et de sympathie qui était en lui ; si bien qu’il arrive à s’identifier, à se confondre avec l’objet qu’il contemple, par une de ces illusions, par un de ces miracles que l’amour seul peut produire. Comme chez la religieuse extatique qui à force de penser au Christ finit par le voir et l’entendre, la pensée en lui se changeait en vision. On peut l’appeler un halluciné, mais non un rêveur ; il apportait au travail une force de volonté, une énergie extraordinaires. Rien ne pouvait le distraire de l’objet de son étude. Jamais il ne lisait un livre, ne se préoccupait d’une chose, étrangers à son travail du moment. Il s’absorbait dans son sujet, il ne voyait que lui. Il acquérait ainsi une intensité prodigieuse de pensée et comme un don de seconde vue. À l’époque de la maturité de son talent, entre 1830 et 1840, il ne vivait que dans ses ouvrages, il leur donnait tout ce que son esprit et son cœur avaient de chaleur et d’énergie, à ce point qu’il semblait indifférent au monde, aux hommes, aux personnes même qui lui tenaient de plus près, et qu’il pouvait passer dans la vie ordinaire pour froid et insensible. Les douleurs, les humiliations de son enfance l’avaient tout refoulé en lui-même ; ce n’est que plus tard, après ses cours du Collège de France et