Page:Monod - Renan, Taine, Michelet, 1894.djvu/322

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justicier compatissant dans les nécropoles du passé pour rappeler à la vie ceux qui y dormaient un sommeil séculaire ? N’est-ce point parce qu’il a été guidé et inspiré par l’amour pour les morts qu’il a donné à l’histoire le nom gravé aujourd’hui sur son tombeau : Résurrection ? Poinsot disparu, Michelet a généralisé et répandu sur l’humanité les sentiments qu’il avait concentrés sur son ami. Dans sa vie entière ont retenti les échos de cette passion de sa jeunesse.

Si l’amitié l’avait consolé de l’amour déçu, il se jeta avec fureur dans l’activité intellectuelle quand il fut privé des joies quotidiennes de l’amitié. Au roman de l’amitié succède le roman des idées, car tout chez lui, l’intelligence même, est sentiment et passion. C’est à cette époque que s’applique le mot mis par madame Michelet en épigraphe au volume : « Les passions intellectuelles ont dévoré ma jeunesse. » De 1821 à 1828, son cerveau est en ébullition, les projets d’ouvrages s’y pressent et s’y entrecroisent ; il ne démêle que lentement sa vraie voie. C’est vers la philosophie qu’il se tourne d’abord ou plutôt vers l’histoire philosophique. Il se nourrit des philosophes, de Condillac, de Gérando, de Destutt de Tracy, de Kant, de Dugald Stewart ; il enseigne d’abord la