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SA VIE, SON ŒUVRE


exercices de saltimbanques dont la place Graslin était le théâtre presque quotidien, des montreurs d’ours, assez fréquents à cette époque, et des cavalcades que les écuyers et écuyères des cirques de passage avaient coutume de faire par la ville, musique en tête et dans leurs costumes les plus magnifiques.

Mon père, qui était un lettré remarquable autant que modeste, comptait parmi les babitués de son salon de lecture tout ce qu’il y avait à Nantes d’intelligent et de distingué : Lajariette, le collectionneur émérite ; Mellinet-Malassis, le docteur Guépin, le docteur Aublanc (le médecin d’Élisa Mercœur), Émile Souvestre, Victor Mangin père et fils, Allotte, etc., etc.

Mes premiers joujoux me furent donnés par l’excellent comédien Régnier, alors dans toute la fleur de la jeunesse, et qui jouait les premiers comiques au Grand-Théâtre de la place Graslin.

Aussitôt que j’ai eu l’âge littéraire, je me suis enquis avec curiosité de la période révolutionnaire à Nantes. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Les enfants vont toujours aux énormités. Un jour, j’interrogeai ma grand’mère sur Carrier, l’homme effroyable. Ma grand’mère avait porté la cocarde au bonnet, comme toutes les femmes d’alors, et elle aimait à rappeler que cela lui allait fort bien.

— Tu as vu quelquefois Carrier, grand’mère ?

— Si j’ai vu monsieur Carrier ? je le crois bien ! C’était un fort bel homme ; il me saluait toujours lorsqu’il me rencontrait.

Mon grand-père, lui, qui avait été maître de poste, parlait plus irrévérencieusement de l’homme des noyades. Il lui gardait une dent ; voici à quelle occasion.

Une après-dinée, mon grand-père menait boire quelques-uns de ses chevaux à la Loire. Un individu se trouvait sur le passage qui conduisait à la berge.

— Veux-tu te ranger ! lui cria mon grand-père.

L’individu, qui était Carrier, ne parut pas avoir entendu, car il ne se dérangea pas.

Mon grand-père n’était pas patient.

— Attends ! attends ! je vais te faire bouger ! dit-il en descendant de ses chevaux.

Et se dirigeant vers le quidam, il lui détacha un grand coup de fouet à travers les jambes.

Carrier sauta, en poussant un juron. Quelques personnes qui le connaissaient accoururent vers lui.

— Empoignez-moi cet animal ! dit-il en désignant le maître de poste.