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CHARLES MONSELET


n’ai jamais oubliée après tant d’autres cités parcourues. Une expression m’a rendu une sensation, un mot m’a rappelé un quartier. On devrait faire pour chaque ville un vocabulaire intime ; le cœur en battrait plus fort à quelques-uns, comme il vient de me battre tout à l’heure, en lisant les épreuves du petit livre si curieux que vous avez bien voulu me communiquer.

Eh ! oui, je suis né à Nantes, événement de bien médiocre importance, que j’ai cru cependant devoir consigner jadis dans des strophes parfaitement oubliées qui commençaient ainsi :


On m’a demandé, l’autre jour,
Vingt lignes de biographie,
Au bas de ma photographie.
Le vilain mot ! Le vilain tour !

Les voici : la ville de Nantes
À qui je n’en saurais vouloir,
M’a vu naître, sans s’émouvoir
De mes facultés étonnantes.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Le principal étant de vivre.
Fidèle au : « Tel père, tel fils, »
Ma ressource devint le livre ;
Mon père en vendait. — moi j’en fis.


Je vous prive du reste du morceau.

Mon père en vendait — ou plutôt il en louait, car il tenait un cabinet de lecture à un entresol de la place Graslin se prolongeant sur un coin de la rue Jean-Jacques-Rousseau. C’est des fenêtres de cet entresol et du haut d’un tabouret que j’ai vu les Trois Glorieuses de 1830, qui se résumèrent pour moi en un grand bruit sur la place et par un va-et-vient de soldats à cheval.

C’est encore de ces fenêtres qu’un peu plus tard je regardais passer, avec un certain étonnement, quelques personnages velus d’une tunique bleue serrée à la taille et d’un pantalon blanc, et coiffés d’un béret.

Lorsque je demandais qui étaient ces gens : « Ce sont des saint-simoniens, » me répondait-on.

Et je n’étais pas plus avancé qu’auparavant.

Mais les saint-simoniens et les soldats à cheval étaient réservés pour les grands jours. Le reste du temps, il fallait me contenter des