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Page:Monselet - Fréron, 1864.djvu/26

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Je m’accostai d’un homme à lourde mine,
Qui sur sa plume a fondé sa cuisine,
Grand écumeur des bourbiers d’Hélicon,
De Loyola chassé pour ses fredaines,
Vermisseau né du cul de Desfontaines,
Digne en tout sens de son extraction :
Cet animal se nommait Jean Fréron.

J’étais tout neuf, j’étais jeune, sincère,
Et j’ignorais son naturel félon ;
Je m’engageai, sous l’espoir d’un salaire,
À travailler à son hebdomadaire,
Qu’aucuns nommaient alors patibulaire.
Il m’enseigna comment on dépeçait
Un livre entier, comme on le recousait.
Comme on jugeait du tout par la préface,
Comme on louait un sot auteur en place,
Comme on fondait avec lourde roideur
Sur l’écrivain pauvre et sans protecteur.
Je m’enrôlai, je servis le corsaire ;
Je critiquai, sans esprit et sans choix,
Impunément le théâtre, la chaire,
Et je mentis pour dix écus par mois.
Quel fut le prix de ma plate manie ?
Je fus connu, mais par mon infamie,
Comme un gredin que la main de Thémis
À diapré de nobles fleurs de lys,
Par un fer chaud gravé sur l’omoplate.
Triste et honteux, je quittai mon pirate,
Qui me vola, pour prix de mon labeur,
Mon honoraire en me parlant d’honneur.