Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/165

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matières, et ses raisonnements ont pour moi un attrait analogue à celui de l’acidité de certains fruits), je lui demandai si la vie honnête et bourgeoise ne lui faisait pas envie. »

« — Non, me répondit-elle.

« Et comme je m’étonnais :

« — C’est compréhensible pourtant, reprit-elle ; je n’ai pas encore souffert par le désordre. Supposez un Parisien authentique, un Parisien de Paris, n’ayant jamais quitté l’ombre de la colline Montmartre, et demandez-lui s’il aimerait habiter la province. Il ne saura trop d’abord que vous répondre, mais il aura ’’non’’ sur les lèvres ; il vous répétera ce qu’il a entendu raconter de la province : qu’on s’y ennuie à mourir, qu’on s’y pétrifie, qu’il n’y a personne dans les rues, qu’on s’y couche à neuf heures. Eh bien, j’ai les mêmes préjugés et les mêmes préventions vis-à-vis de l’honnêteté. Cela est probablement absurde, et plus tard je penserai sans doute d’une toute autre manière ; mais, en attendant, j’ai le caractère de mon âge ; je ne suis pas encore assez fatigué pour aspirer au repos. L’honnêteté, c’est comme un théâtre où je ne serais pas encore allée, un théâtre au-delà des ponts, un troisième Théâtre-Français, si vous voulez ; on m’a dit qu’on s’y ennuyait, et c’est pourquoi je n’y vais pas. Le hasard m’y conduira peut-être le jour que j’y penserai le moins.

« À travers tout cela, je ne saurais dire au juste si Pandore m’aime. J’ai souvent là-dessus des doutes qui m’enragent. Dans la même journée, elle passe quelquefois du charme le plus naturel et le plus pénétrant à la froideur la plus insolente et la plus capable de me faire pousser aux mains le bâton des anciennes comédies. Dans ces moments-là, je me demande comment j’ai pu m’enticher d’une poupée semblable, moi qui ne suis pourtant ni un collégien ni un vieillard, deux extrêmes qui se ressemblent tant. Je me dis que c’est une entrave à mes projets, ou du moins un tracas. Alors je saisis une plume, je veux écrire pour me dégager ; puis, je m’arrête au moment où je vais noircir la feuille de papier, et je me dis invariablement, avec cette conscience de la faiblesse qui se cache sous un sourire :

« — Bah ! il sera toujours temps !