Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/207

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— Sait-on jamais ces choses-là ! dit la comtesse.

— Oh ! ma sœur ! s’écria la marquise de Pressigny, la partialité vous entraîne. Le duel dans lequel Irénée a reçu une balle de M. Philippe Beyle, à l’époque où nous nous trouvions aux bains de la Teste, ce duel a eu lieu dans les conditions les plus honorables. L’un des témoins est un de mes amis… c’est M. Blanchard… et je puis vous certifier que tout s’est passé dignement dans cette regrettable affaire. Le hasard des armes n’a pas été favorable à Irénée, c’est vrai ; il ne faut pas oublier non plus qu’il s’était l’agresseur. En pareil cas, je veux bien que la compassion soit pour le blessé, mais la justice doit être pour tout le monde, même pour…

— Même pour M. Beyle, n’est-ce pas ?

— Oui, ma sœur, répondit la marquise.

Amélie jeta sur elle un regard qui valait un remerciement. Bien que deux années eussent passé sur les événements imprudemment évoqués par la comtesse, le souvenir en était toujours vivant chez la jeune fille.

À l’époque qui vient d’être rappelée, Amélie n’ignorait pas qu’une de ces conventions de famille, si respectables, mais si fécondes en unions désastreuses, l’avait destinée à porter le nom de Trémeleu. Elle n’aimait pas Irénée ; elle avait pris trop tôt l’habitude de le regarder comme un protecteur. Jamais elle n’avait éprouvé d’émotion à son aspect : jamais, en acceptant son bras, elle n’avait senti monter à ses joues les premières roses de ce bouquet qui fleurit dans le cœur des jeunes filles. Cependant, par une curiosité naturelle, elle ne laissait pas de s’inquiéter des actes et des sentiments de celui qui devait être son mari ; aussi, son amour-propre reçut-il une vive atteinte lorsqu’elle entendit raconter que, dans les dunes de la Teste, M. de Trémeleu s’était battu en duel pour une femme. Quelle était cette femme ? Une chanteuse. Amélie tenait de sa mère pour la fierté ; elle se tut. Nous n’oserons pas dire qu’elle éprouva une horrible et secrète satisfaction en apprenant qu’Irénée avait failli payer de la vie cette infidélité anticipée, non. Si les enfants n’ont que les rêves de l’amour, ils n’ont aussi que les rêves de la haine. Amélie se contenta de vouer à l’oubli Irénée de Trémeleu ; elle y réussit aisément.