Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/363

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l’église de sa ville natale ; au moment d’être accrochée au mur, la toile a été crevée à plusieurs places par la maladresse des ouvriers et détruite entièrement par la chute d’une cruche d’acide. Sa Vue de Fontainebleau, entreprise pour le compte de Louis-Philippe, a été roulée et oubliée pendant deux ans dans les greniers du Louvre ; et lorsque, sur ses réclamations, on a voulu l’arracher à cet abandon inconcevable, elle avait disparu.

Levasseur a compris que la fatalité était sur lui ; peu à peu il est devenu misanthrope : il s’est enfermé dans son atelier, il a fait alors de la peinture pour lui seul ; en trois ans, il a signé trois pages rayonnantes, trois épopées de lumière à désespérer Troyon, Théodore Rousseau et Français. De toutes parts on est venu admirer ces prodigieuses compositions ; de toutes parts on lui a adressé les offres les plus tentantes : il a tout refusé, pour s’absorber dans la contemplation de ses trois œuvres suprêmes, les seules qu’on connût de lui dans le monde !

Un soir, en rentrant, Levasseur a trouvé son atelier vide et cent mille francs à la place de ses trois tableaux. Il a failli en perdre la raison. On raconte que les cheveux du célèbre acteur Brizard blanchirent pendant le temps qu’il demeura suspendu à l’anneau en fer d’une pile de pont sur le Rhône, où il avait chaviré. René Levasseur a vu, lui aussi, blanchir ses cheveux. En outre, il lui est resté de cette commotion un tremblement nerveux qui l’empêchera désormais de peindre.

Les journaux se sont entretenus avec détail de ce vol d’une espèce nouvelle et audacieuse, qu’ils ont attribué au fanatisme d’un amateur princier ; quelques initiales même ont circulé dans le monde des arts, mais nul ne s’est avisé de plaindre Levasseur : on l’a trouvé largement indemnisé. Quant aux trois tableaux, le chemin qu’ils avaient pris était sans doute le même que les autres. Impossible de se procurer là-dessus aucun enregistrement.

Une seule personne aurait pu en donner, une personne que René avait autrefois foulée aux pieds, une jeune fille qu’il avait déshonorée, une femme qu’il avait insultée, une mère dont il avait repoussé l’enfant. C’était la comtesse Darcet.