Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/63

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qu’une robe et qu’un petit bonnet à trois pièces. On lui laissait ses bas jusqu’à ce qu’ils lui tombassent des pieds, en raison du proverbe : « Tant qu’il y a de la jambe, il y a du talon. »

Il semblait qu’elle ne fît plus partie de la famille. Chez les gens du peuple, plus qu’ailleurs, il survient de ces changements extraordinaires, de ces revirements d’affection que rien ne motive. Une première brutalité, souvent irréfléchie, en amène une seconde qui est calculée. C’est que là où le père devait se repentir, il a, au contraire, essayé de se justifier. Il a cherché une raison à sa colère, et il en a trouvé une. Désormais l’habitude est prise : son sourcil demeurera froncé pour son enfant, car un père ne doit pas montrer d’illogisme dans sa conduite ; désormais il se mettra à l’affût de toutes les occasions propres à attiser sa colère, et les occasions viendront au devant de lui. La colère est progressive comme l’ivresse ; elle engendrera la haine, et la haine appellera la cruauté. Ainsi, pour avoir voulu être infaillible une première fois, il descendra un à un tous les degrés de la démence et de l’inhumanité. L’orgueil, dans les basses classes, lorsqu’il est poussé jusqu’à l’entêtement, produit des résultats épouvantables.

Plus le peintre colleur battait sa fille, plus elle lui devenait odieuse. L’injustice arrivait chez lui à des vertiges surprenants. Il lui trouvait tous les défauts, toutes les laideurs, toutes les insipidités ; il n’aurait jamais voulu l’avoir sous les yeux, disait-il, et quand il ne la voyait pas, il criait avec fureur après elle. Peu à peu, il s’était forgé un raisonnement qui eût étonné même une brute ; il pensait :

— Puisque je la bats si souvent et si fort, il faut donc que ce soit un monstre ?

En conséquence de ce principe, on ne trouverait pas dans toute l’enfance de Marianne quelque chose qui ressemble à un plaisir, même à un loisir. Les dimanches, dans l’après-dînée, sa petite tête mélancolique apparaissait quelquefois un instant à la lucarne du grenier ; de là, elle regardait dans la rue les petites filles. Les petites filles sautaient, se trémoussaient, jouaient à la marchande de rubans ; pour tirer au sort celle qui, devait jouer le rôle principal dans le jeu, elles se rassemblaient autour de la plus grande,