Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/73

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Tel était l’homme avec qui Irénée se trouva en présence lors de son arrivée à Londres.

Il songea à repartir immédiatement pour Paris : il n’en eût pas la force. Son amour s’était accru depuis un mois de séparation, employé par lui à caresser des projets, à préparer des plans pour un avenir tout de calme et de demi-jour poétique. Il ne voulut pas renoncer en une heure à des rêves pétris pour ainsi dire avec le meilleur de son sang et dorés de tous les rayons de son imagination. Il appela à son secours les raisonnements les plus étranges, il évoqua les espérances les plus paradoxales. Vainement la dignité étendit-elle sur lui son beau bras de marbre pour tenter un dernier rappel, il repoussa brusquement la dignité et se plongea entier dans sa chère et douloureuse erreur.

Irénée resta donc à Londres. Spectateur assidu de l’Opéra, on put le voir pendant deux mois, assis à la même place, les yeux avidement fixés sur la scène quand paraissait la Marianna, le front tristement incliné quand elle avait disparu.

Souffre, jeune homme ! Baisse ton regard pour qu’on n’y voie pas trembler la lumière de tes larmes ! Porte les doigts à ta gorge pour y arrêter les sanglots qui s’y pressent. Que ton âme s’épanche et filtre à travers les notes gémissantes de la musique des maîtres. Souffre ! c’est l’âge de souffrir. Ton cœur a du sang pour tous les glaives ; ne crains pas d’aller au-devant des blessures ! On sera peut-être surpris par la scène que je vais essayer de rendre : mais j’atteste cependant qu’elle est bien dans le sentiment passionné.

Irénée se présenta chez Philippe Beyle, qu’il n’avait jamais rencontré que dans les corridors du théâtre, où leurs regards avaient été ce que sont les regards des gens du monde, c’est-à-dire froids, et, en apparence, indifférents.

— Monsieur, dit Irénée, vous sous attendiez probablement tôt ou tard à ma visite, car vous ne pouvez ignorer la nature et la force de l’intimité qui m’attachait à Marianna. Vous avez remporté sur moi un avantage, en présence duquel tout homme sensé devrait renoncer à ses prétentions ; mais je ne