Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/82

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« Liège, 3 avril. – Ce soir, après mon quatrième acte des Huguenots, j’ai été rappelée, et on m’a jeté une riche couronne sur chacune des feuilles de laquelle était inscrit un de mes rôles principaux. Il y avait longtemps que je n’espérais plus un semblable triomphe. Philippe était là, dans une stalle qu’il n’a pas quittée de la soirée. Combien j’étais heureuse ! C’est sa présence qui m’a électrisée.

« Mardi. – Ph. Est singulier depuis quelques jours. J’ai une peur effroyable qu’il ne soit pas jaloux. Hier matin, il a vu sur ma cheminée ce bouquet véritablement merveilleux que m’a envoyé le banquier N. Il m’a questionnée à ce propos, mais sans passion, en badinant avec ma chienne, et visiblement peu soucieux de mes réponses. À déjeuner, cependant, il est revenu sur le bouquet, comme par un remords de politesse ; mais alors, par un contraste trop grossier pour que j’aie pu en être dupe, il a été sarcastique, inquisiteur, blessant ;

« Non, il n’est pas jaloux, il n’est que taquin.

« Le 12. – Dans un an, je n’aurai plus de voix. Il m’a été impossible de finir Norma vendredi ; on a dû baisser le rideau. Nous partirons pour l’Italie, c’est convenu ; on dit que c’est le pays des miracles. L’Italie ou toute autre contrée, que m’importe, pourvu qu’il ne me quitte point ! »

Venaient ensuite des notes de voyage, un itinéraire. Aux derniers feuillets seulement, le journal intime recommençait, mais sans dates cette fois, sans indication de lieu. L’écriture hâtive, égarée, des phrases sans suite, accusaient de violentes secousses morales.

« … Si j’avais à me venger d’un homme, je me garderais bien de le faire mourir.

« — Quelle scène affreuse ! Il m’a brisée par ses paroles amères et emportées. La coupe était trop pleine : le flot de ses ennuis et de ses lassitudes a débordé enfin. Qu’il m’a fait souffrir !

« — Je me croyais bonne ; me serais-je trompée jusqu’à présent ? Le malheur a révélé en moi des abîmes de cruauté. Mes nuits, si calmes autrefois, ne sont remplies maintenant que de rêves atroces ; je me complais dans des images de supplice. Qu’est-ce que cela veut donc dire ? Mon Dieu ! si