ment la Pologne, l’Espagne, le Portugal, la Hollande. Il prit de bonne heure le goût du déplacement, et tourna longtemps autour de diverses carrières sans en adopter aucune. Une parodie représentée à la Comédie italienne, quelques petits vers sans amours, des fragments de tragédie trahissent, çà et là, des velléités poétiques, réprimées presque aussitôt. On verra cependant Linguet parler plusieurs fois avec complaisance de ses aspirations vers la littérature, et du regret qu’il ressent d’avoir abandonné le culte des Muses. Mais il ne faut pas trop l’écouter : c’est une manie chez lui. Ce qui tend à prouver que sa vocation poétique n’était que vision, c’est que, dans le moment où il feuilletait d’une main le dictionnaire des rimes, de l’autre il écrivait le Traité des canaux navigables.
De retour de ses pérégrinations, qui lui avaient pris les plus belles et les plus longues années de sa jeunesse, il se fixa à Paris, où bientôt il entra dans la ligue contre les philosophes ; ses premières brochures furent peu remarquées : elles n’étaient pas, il est vrai, saupoudrées de ce sel qu’il versa depuis à pleines poignées sur tous ses ouvrages. Linguet se contentait alors d’avoir des vues judicieuses, un style facile ; il comprit plus tard que ce n’était pas assez. Il éclairait seulement, il ne brûlait pas encore.
À ce moment, il fut atteint d’une noire mélancolie et d’un dégoût profond des choses de la gloire, motivé, cela va sans dire, par son peu de succès. Il avait vingt-huit ans, il était inconnu. Que faire pour percer la foule ? Linguet se décida à descendre lentement les degrés gazonnés du Parnasse, et à choisir une profession dans la société : il prit celle d’avocat, non