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Page:Monselet - Les Oubliés et les Dédaignés, 1876.djvu/260

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OUBLIÉS ET DÉDAIGNÉS.

flegme du monde, je lui posai cette interrogation :

— Est-ce que vous vous amusez, vous ?

Ils furent interdits.

— Je ne dis pas cela, dit le premier, mais…

Le je ne dis pas cela était sublime ; je n’en voulus pas entendre davantage, je m’en tins au je ne dis pas cela ; et comme j’avais soulevé un point délicat de controverse sur lequel leur consigne était muette, ou plutôt qu’elle n’avait point prévu, ils me laissèrent bâiller jusqu’à la fin. Est-il nécessaire de dire que Blanche et Guiscard tomba, ou, pour mieux dire, s’affaissa sous l’indifférence publique, — indifférence dont Frétillon eut sa part, victime, elle aussi, démon nouveau système de cabale ?

Je triomphai donc, mais je ne triomphai pas longtemps. Frétillon était toute-puissante : elle le lit bien voir. Lassée d’une lutte où j’avais su conserver l’avantage, elle résolut de m’écraser tout à fait ; le coup qu’elle me porta était le seul auquel je ne m’attendais pas. Elle sollicita et obtint de M. de Sartine un ordre inouï, par lequel il m’était défendu de me présenter désormais à la Comédie française. Furieux, je cours chez ce magistrat ; j’ai toutes les peines du monde à le voir, encore plus de peine à obtenir de lui quelques explications.

— Que voulez-vous ? me dit-il enfin, mademoiselle Clairon est très-bien en cour ; vous, vous avez une réputation détestable ; il faut vous résigner. On vous a assez averti, d’ailleurs ; c’est votre faute.

— Mais une telle interdiction est inusitée et ne s’appuie sur aucune loi.

— C’est vrai ; mais mademoiselle Clairon a couru